Voici,
résumées, les principales
contestations de forme que les avocats
ont opposé au Président
du tribunal de seconde instance J.
Logghe et à ses deux assesseurs
T. Denys et J. Libert (étant
entendu que ceux-ci avaient été constamment épaulés,
dans leurs coups bas, par le magistrat
fédéral Johan Delmulle).
La
Cour d’Appel de Gand a totalement
eu tort d’entériner
la mise sur pied d’un tribunal
d’exception à Bruges.
Ceci s’est passé en
laissant siéger –en
première instance– le
juge Freddy Troch de Termonde,
comme juge et président
du tribunal correctionnel.
Pour être
sûr que le tribunal de première
instance aboutisse à l’affirmation
d’une vérité judiciaire
implacable, une partie de la haute
magistrature flamande s’est
fait, en vérité, la
complice d’un véritable
coup de force: transformer la quatorzième
Chambre du Tribunal correctionnel
de Bruges en hall d’entrée
d’une justice d’exception.
C’est ce qu’accomplira,
par son ordonnance datée du
4 novembre 2005, le premier Président
de la Cour d’Appel de Gand
(Jean-Paul De Graeve) en désignant
Freddy Troch, juge à Termonde,
pour présider «le
temps du procès» l’affaire
Erdal, y faire primer la tournure
dévolue et lui imprimer la
tension voulue.
L’indépendance
du tribunal était, dès
lors, des plus contestables :
le juge Freddy Troch, venu spécialement
siéger à Bruges pour
cette affaire, y a été désigné sur
avis du Parquet (le Procureur général
de la Cour d’Appel de Gand),
qui, en tant que responsable des poursuites,
est partie au procès, au même
titre que les prévenus. Une
partie contribue donc à décider
par qui son procès sera jugé.
Pour la défense, c’était
inacceptable.
Qui
plus est, dans sa réponse
aux griefs préalables formulés
par la défense des accusés,
le Jugement d’Appel osera affirmer
(page 37), contre tout bon sens,
que l’expression tijdelijk (qui
signifie «temporairement») «sous-entend,
selon l’Article 98, "provisoirement",
ce qui peut porter aussi bien sur
un terme déterminé que
pour une affaire bien déterminée
(sic)»… Une
interprétation évidemment
infondée.
Ni à Bruges
ni à Gand, le caractère
public des audiences n’a été garanti.
Les mesures ultra-sécuritaires
mises en place par la police ont
ainsi tenu à l’écart
des personnes qui, autrement, seraient
certainement venues assister au
procès. Par ces mesures
de sécurité hors
du commun, la presse écrite
et les médias télés
n’ont pu suivre normalement
les sessions du tribunal du premier
degré ou de la Cour d’Appel.
Ainsi,
lors de la première audience
gantoise, le lundi 11 septembre 2006,
plus d’une centaine de sympathisants
vont d'abord être tous obligés
de passer sous le portique du détecteur à métaux.
De retirer leurs chaussures pour
certains, leurs colliers et pendentifs
pour d'autres. Puis être contraints
de donner leur carte d'identité (deux
fois photocopiées)... Une
grosse centaine de personnes dont
les places dans la salle de Justice
seront désignées «au
faciès» par la police:
les Turcs ou apparentés au
fond; les Blancs devant, aux sept
premiers rangs. On croit rêver,
on ne rêve pas.
La
Cour d’appel de Gand et le
Tribunal correctionnel de Bruges
se sont, totalement à tort,
estimés compétents
pour ce procès purement
politique. Seule la Cour d’Assises
pouvait être saisie.
Selon
la défense, comme il s’agit
de délits de nature éminemment
politique, seule la Cour d’Assise
est compétente pour juger,
conformément à l’article
150 de la Constitution. La Cour d’Appel
a rejeté cet argument parce
que les délits du DHKP-C «ne
portent pas directement atteinte
aux institutions politiques turques» : «Le
fait de commettre des attentats sur
des personnes (principalement des
officiers de police, des juges, des
industriels, etc…) et des
bâtiments (bureaux de police,
tribunaux, etc…) n’est
pas en soi de nature à atteindre
l’action et l’organisation
des institutions politiques législatives
ou de menacer l’organisation
de l’Etat» (page
35).
Pourtant,
dans le même arrêt du
7 novembre 2006, il est –à de
multiples reprises– spécifié que
le but de cette organisation est
bel et bien de « renverser
l’Etat turc au moyen de la
lutte armée».
La
Cour d’appel a enfreint,
par son Arrêt, la liberté d’expression,
la liberté d’association
et la liberté de réunion.
La
loi sur les organisations criminelles
adoptée en 1999 crée
(c’est inédit) un délit
d’appartenance. Même
si vous n’avez commis aucun
acte contraire aux lois, le simple
fait d’appartenir à une
organisation prétendument «criminelle» fait
de vous un délinquant qui
sera condamné pénalement.
De
surcroît, au délit d’appartenance
qui singularise la loi sur les organisations
criminelles, la législation
sur les infractions terroristes (de
décembre 2003) substitue –en
quelque sorte– un délit
de «sympathie» encore
plus pernicieux: tout acte de «solidarité» peut
suffire à établir votre
indubitable appartenance à l’organisation
décriée par la Justice.
La
Justice s’est ainsi acharnée à rassembler, à l’encontre
de Bahar Kimyongür par exemple,
de prétendues preuves établissant
son indéniable appartenance
au DHKP-C, mouvement qualifié de «bande
de malfaiteurs, association criminelle
et organisation terroriste».
Ainsi, les demandes préalablement
adressées aux autorités
communales afin de pouvoir mettre
sur pied des manifestations publiques
(dénonçant les conditions
de détention auxquelles sont
soumis les prisonniers politiques
en Turquie) : au lieu d’être
considérées comme l’utilisation
d’un droit légal et
démocratique, ces demandes
répétées (par
ailleurs toujours reconnues et acceptées)
ont été interprétées,
par la Cour, comme la preuve indubitable
que Kimyongür n’est pas
un simple sympathisant ou un membre
parmi d’autres. Mais l’un
des dirigeants de l’organisation… !
La
Cour d’Appel de Gand a condamné les
inculpés notamment pour
des faits qui n’ont pas été commis
en Belgique et qui n’ont
pas été commis par
eux. Ils ont, entre autres, été condamnés
pour des actes qui se sont produits
il y a des dizaines d’années
et même plus. Certains des
inculpés n’étaient
même pas encore nés
ou étaient de très
petits enfants au moment des faits.
Pour
démontrer que le DHKP-C est
une organisation «terroriste»,
la Cour n’a pas hésité à utiliser
des faits et des éléments
s’étant déroulés
dans d’autres pays (Turquie,
Allemagne, Pays-Bas…) et à d’autres
moments que ceux de la période
infractionnelle (par exemple, des
faits remontant aux années
70 –lorsque certains prévenus
n’étaient même
pas nés ou étaient
encore enfants). Selon la défense,
il s’agit là d’une
violation manifeste de «la
saisine» du tribunal, c’est-à-dire
du principe selon lequel le tribunal
n’est saisi que des faits commis
pendant la période et sur
le territoire visé par la
citation (ici la Belgique).
La
Cour a appliqué des lois
pénales qui n’existaient
pas au moment des faits.
La
loi sur les organisations criminelles
a été adoptée
en janvier 1999 et la législation
réprimant les infractions
terroristes en décembre 2003.
Comme toute législation, elles
ne peuvent avoir d’application
rétroactive.
L’instruction
judiciaire a été menée
totalement à charge. La
Cour a rejeté toutes les
requêtes d’instruction à décharge
des inculpés. Par là même,
le procès ne pouvait être «équitable».
En
réalité, l’instruction
judiciaire a assez vite échapper
au juge brugeois pour être
réorientée par la gendarmerie
et le Parquet fédéral.
Cette mise sous tutelle va aussi
se concrétiser lors de la
clôture du dossier, alors que
tous les devoirs d’enquête
ont été accomplis par
le juge Buysse. Juste avant d’être
transmis à la Chambre du Conseil,
le dossier –remis aux parties
et au Ministère public– va être
complété par le magistrat
fédéral: Johan Delmulle
va y ajouter ses propres réquisitions
et requalifier la prévention
concernant l’accusation d’association
de malfaiteurs, en la complétant
par huit mots: «(…)
en vue de commettre des attentats
en Turquie». Cette reformulation
de dernière minute (qui va
servir de brèche à l’Etat
turc pour se constituer partie civile)
aura une conséquence immédiate:
elle induit une malversation dans
la procédure, manifestement
attentatoire à la régularité du
procès. Comme l’instruction
n’a pas inclus d’investigations
en Turquie, elle est partiale parce
que partielle.
Dans
le Jugement d’Appel, les juges
de Gand vont d’ailleurs conforter
cette instrumentalisation de la procédure
d’instruction et la prétendue
impossibilité de mener des
devoirs d’enquêtes supplémentaires: «Entendre
la nommée Birsen Kars sous
serment pour montrer le traitement
inhumain subi par les détenus
politiques dans les prisons turques,
et prouver un état de nécessité?
La Cour est d'avis que le témoignage
de B. Kars [atrocement brûlée
lors de l’assaut donné contre
les prisons turques le 19 décembre
2000, NDLR] n'a rien à voir
avec les faits mis à charge
des accusés et qu'il n'est
donc pas utile pour découvrir
la vérité» (page
46).
La
Cour a totalement retiré les
faits de leur contexte. La Cour
a obstinément refusé d’examiner
la situation des droits de l’Homme
en Turquie et de les investir dans
leur jugement.
La
défense avait invoqué un «état
de nécessité»,
arguant que les accusés et
leur mouvement politique en Turquie
menaient une lutte (pour partie)
violente en réaction à la
violence d’Etat : celle
d’un régime dominé par
l’armée. Depuis la Seconde
Guerre mondiale en effet, la Turquie
a subi trois coups d’Etat militaires
(le dernier a instauré une
dictature épouvantable qui,
dans les années 80, a entraîné l’arrestation
de 650.000 personnes). En réalité,
derrière un façadisme
démocratique, les militaires
tiennent encore et toujours les rennes
du pouvoir. La Turquie détient
le record des violations de la Convention
européenne des droits de l’Homme
(75% des plaintes que doit juger
la Cour de Justice de Strasbourg
concerne ce pays) et compte encore
des milliers de détenus politiques
dans ses prisons. Les juges de Gand
n’ont pas voulu en convenir: «Que
certaines autorités turques
utiliseraient manifestement des moyens
illégaux pour se venger (…)
n’est pas non plus à relever
pour le jugement des faits qui sont
actuellement à charge des
accusés» (page
44).
Tant
le Tribunal correctionnel de Bruges
que la Cour d’Appel de Gand
ont émis et exprimé (respectivement
dans leurs jugement et Arrêt)
des opinions foncièrement
politiques.
La
Cour d’Appel va ainsi développer –sur
des pages entières– des
prises de position engagées,
qualifiant (pour mieux le disqualifier)
le DHKP-C de mouvement communiste
ou marxiste-léniniste «extrémiste».
La
Cour d’Appel de Gand ?
Elle s’est constamment appliquée à nier
la nature essentiellement politique
de l’affaire qu’elle
avait à juger. Tout en usant
de considérants politiques à même
de déconsidérer l’idéologie
des prévenus.
L’Etat
turc ne pouvait se constituer partie
civile
Laisser plaider –dès
le début du procès
en degré d’Appel– Kris
Vincke au nom de la Turquie (alors
que, dans son jugement du 28 février
2006, le tribunal de Bruges avait
finalement déclaré la
constitution en partie civile non
fondée –«l’Etat
turc n’ayant pas encouru de
dommages individuels)... ?
C’est ce qu’a néanmoins
favorisé le juge J. Logghe –instituant
une Cour d’Appel à trois
juges et (c’est une «première») à deux
procureurs. En effet, le magistrat
fédéral représentait,
dans l’enceinte du tribunal,
l’intérêt général,
la société. Or, l’Etat
turc n’ayant jamais pris la
peine de détailler, un à un,
quels étaient les dommages
par lui encourus, Vincke devenait
par là même un second
magistrat défendant, lui aussi, «l’intérêt
général». Ce
qui ne peut être.
En
réalité, pour que sa
position de partie civile soit recevable,
l’Etat turc aurait non seulement
dû décrire son exigence
de réparation mais relever
en quoi il aurait été «personnellement» touché.
La réclamation exigée
par une personne physique ou une
personne de droit ne peut être
acceptée si elle n’a
pas un intérêt personnel
et direct à faire valoir.
En l’occurrence, la Turquie
n’a jamais explicité (au
cas par cas) quel dommage en particulier
(dommage direct, qu’il soit
matériel ou moral), elle aurait
subi par les faits mis à charge
des inculpés, ou de l’organisation
dont ils sont accusés d’être
des membres, voire des dirigeants.
|