Il était tard. La chaleur renaissante pesait sur Madrid et la prison Soto del Real où le militant d’extrême-gauche belge Bahar Kimyongur avait été emprisonné sur foi d’un mandat d’arrêt international lancé par la Turquie pour un chahut lancé au Parlement européen en 2000 alors que s’y trouvait un ministre turc, décédé depuis… Devant la prison, une foule de journalistes se pressaient. Non pas pour Bahar Kimyongur, mais bien pour une personnalité espagnole, elle aussi libérée, et impliquée dans des faits de détournements.
La veille, Bahar Kimyongur avait été transféré du commissariat de Cordoue dans une camionnette pénitentiaire, entravé, les mains dans le dos, sur les sièges de cuir de ce bahut qui fonçait à vive allure vers le tribunal de l’Audience Nationale de Madrid où le juge Javier Gomez Bermudez devait statuer sur son sort. «Soto de Real était une prison correcte, en regard de ce que j’avais connu à Cordoue dans les cellules rongées par la mérule», esquisse Bahar Kimyongur, quelques heures après sa libération conditionnelle, accordée sous le bénéfice du versement d’une caution de 10.000 euros (rassemblée par sa famille), dont le remboursement est conditionné à sa représentation « à tous les actes de procédure » nécéssités par la demande d’extradition turque.
Dans la cathédrale de Cordoue
Il était 15h45, peut-être 16 h, ce lundi 17 juin. Bahar Kimyongur, son épouse Deniz et leurs deux enfants étaient arrivés à Cordoue, après être passés par Genève, Faro (Portugal). Il voulait contempler, lui le licencié en archéologie et histoire de l’art de l’ULB, ce lieu magique de l’architecture religieuse, d’abord temple romain, ensuite mosquée symbole de l’art des Omeyades, devenue enfin église, puis cathédrale au gré de la Reconquista espagnole du XVIeme siècle. Les enfants étaient sans nul doute fatigués de ces vacances studieuses. « J’étais à la recherche d’une ambiance, comme celle que je connaissais à Antioche, la ville dont ma famille est originaire, raconte Bahar Kimyongur. Les forêts de colonnes de ce bâtiment islamo-chrétien sont merveilleuses. Les enfants étaient exténués. Nous nous sommes assis sur les longs bancs de bois de la cathédrale. On était sur le point de sortir. J’ai vu un jeune homme. Je lui ai demandé où étaient les toilettes ». Son épouse, Deniz, avait mangé une pêche dans l’édifice religieux. Elle a cru que l’intervention policière était motivée par cela. « Ce jeune homme, poursuit Bahar Kimyongur, était un policier en civil. Neuf autres ont fait irruption pour m’arrêter. Il y avait une femme qui parlait vaguement le français. Et dehors nous attendaient trois fourgons. Même mes enfants ont été emmenés au commissariat ».
Transféré à Madrid à l’audience Nationale, Bahar Kimyongur a finalement été libéré sous caution. « Le juge a demandé à la Turquie des précisions sur cette demande d’extradition », précise son avocat belge Christophe Marchand.
Un précédent avec les Pays-Bas
Bahar Kimyongur, acquitté par les tribunaux et Cours belges des accusations d’appartenance à une organisation terroriste (le DHKP-C), avait déjà été arrêté en 2006 aux Pays-Bas. Les services hollandais avaient été renseignés par les services belges, désireux de laver l’affront subi par l’évasion réussie de Fehriye Erdal, cette militante du DHKP-C qui devrait répondre prochainement par défaut devant la cour d’assises de Gand du triple assassinat commis à Ankara dans la tour Sabanci. Les services belges, au cours d’une réunion rassemblant 30 fonctionnaires ministériels et policiers, avaient, comme l’avait révélé « Le Soir » à l’époque, sciemment organisé la livraison d’un ressortissant belge à une puissance étrangère.
Pour Bahar Kimyongur, il n’y a pas de doute. « La Belgique, une nouvelle fois, a été l’objet de pressions de l’Etat turc. Je soupçonne Joëlle Milquet (la ministre de l’Intérieur CDH qui s’était rendue en Turquie à la fin du mois de mai) d’avoir trafiqué sur mon dos. Depuis mon acquittement définitif à Bruxelles, je me suis rendu à une centaine de reprises dans des pays étrangers, sans avoir connu de problèmes. Je crois qu’avoir dénoncé le sale rôle de la Turquie dans le conflit syrien m’a porté préjudice (voir ci-contre). J’ai mis le doigt où cela faisait mal. Ce n’est pas étonnant de constater que le mandat d’arrêt international délivré contre moi l’a été le 28 mai, soit quelques jours après le retour de Mme Milquet de Turquie ».
Hier, au Sénat, la ministre de l’Intérieur, interpellée par le sénateur Ecolo Benoît Hellings sur l’implication éventuelle des services belges dans l’arrestation de Bahar Kimyongur, a démenti, renvoyant le questionnement à sa collègue de la Justice, Annemie Turtelboom.